La mission avait été organisée à la dernière minute, dans l'urgence. Les organisations syndicales d'Argentine avaient lancé un appel de détresse à Bruxelles et à Genève pour que l'on vienne les soutenir. Dan Gallin avait un autre engagement ; après quelques coups de téléphone à la Confédération internationale, la CISL et aux fédérations syndicales internationales, il me déléguait cette tâche. Je devrais prendre l'avion pour Buenos Aires le lendemain ; je représenterais nombre d'organisations, une dizaine au total ; et je devrais me débrouiller sur place, car il n'y avait ni briefing ni documentations disponibles pour cette mission. Ce fut un long voyage, avec un sérieux décalage horaire. A l'arrivée, j'étais attendu par Hugo Barrionuevo, le président de la Fédération de l'alimentation, qui me conduisit directement à mon hôtel. Quelques heures de sommeil, et je le retrouvai le lendemain matin.

L'homme était sympathique et clair dans ses explications. Un coup d'État avait eu lieu en mars 1976, renversant la Présidente de la République, Isabel Peron, qui avait succédé à son mari, le général Peron, décédé en 1974.
Une junte militaire avait pris le pouvoir, dirigée par le général Videla, qui avait entamé un processus de réorganisation nationale afin d'établir un "ordre nouveau". On assistait à de nombreuses arrestations arbitraires ; les universités et les syndicats étaient particulièrement visés.
Nous avions rendez-vous dans une heure au Ministère de la Défense nationale. Je devais délivrer un message affirmant que les organisations syndicales à l'échelle internationale étaient solidaires du monde du travail en Argentine. Une voiture nous conduisit devant un immeuble austère, situé près de la Casa Rosada, la présidence de la République, où nous attendait une dizaine de dirigeants syndicaux, que je n'avais jamais rencontrés.

En gravissant les marches de l'immeuble, j'avançais entre des soldats qui présentaient les armes, au garde-à-vous. Je notais aussi que j'étais en tête de file, et que la délégation restait ostensiblement derrière moi. On nous introduisit dans un vaste bureau, dans lequel trois officiers étaient installés dans des fauteuils ; au centre, un général à deux étoiles représentant l'armée de terre ; de part et d'autre, des généraux de la marine et de l'aviation ; un aide de camp se tenait debout derrière le fauteuil de chaque général. De l'autre côté d'une table basse, il y avait trois chaises, le reste de la délégation devant rester debout. Pas de poignées de mains, de présentations, ni de mots de bienvenue. On m'invita à m'asseoir, et le général en chef déclara : "nous vous écoutons". La réunion commençait mal.

Plongez dans le récit captivant d’un spécialiste des relations internationales, dont le parcours s’étend sur plusieurs continents, de l’Amérique latine à l’Europe centrale. Découvrez les coulisses d’organisations non-gouvernementales et intergouvernementales à travers des événements authentiques et des personnages qui ont réellement marqué l’histoire. De la Bretagne à Genève, en passant par le Chili sous Allende et l’enseignement à l’IUHEI, ce témoignage offre un regard unique sur certains enjeux mondiaux.